mardi 28 juin 2011

2 ème article : Maher témoigne

Je travaillais dans la restauration. A Djerba, dans un hôtel. J'ai 26 ans.

J'habitais dans ma famille, à Tunis, constituée de mon père, ma mère et mon petit frère.
Nous sommes début 2011.

La révolution éclate en Tunisie et le tourisme est sévèrement touché. Comme je suis sous un contrat précaire, on m'a demandé de prendre un congé sans solde, ce qui se fait en général dans le tourisme en Tunisie car l'hôtel ferme quand il n'y a pas de client.

Comme il commençait à y avoir des évènement violents avec des histoires de coups de feu en Tunisie et ne sachant pas dans quel sens allait le pays, j'ai entendu parler de groupes qui arrivaient à partir en Europe, et donc en suivant la source j'ai réussi à intégrer un groupe.
J'ai demandé à ma famille de m'envoyer de l'argent pour ce voyage. Les passeurs m'ont demandé 750 euros. Mes parents ont fait un emprunt pour acquérir cette somme.


Le 16 janvier, j'ai réussi à prendre le bateau. Tout d'abord je suis resté dans une maison un jour, il y avait 45 tunisiens avec moi dans cette maison. Bien entendu, on se racontait les histoires de ce voyage, j'avais peur.


Le capitaine du bateau nous expliquait comment cela se passait. Nous disant que si la météo était clémente, on partirait au plus vite, qu'il ne fallait pas paniquer en cas de problème.


Le 16 janvier, nous avons pris la mer. Le 19 au matin, nous étions à Lampadusa. Le voyage s'est relativement bien passé. A Lampadusa, nous avons été interceptés par les garde-côtes, ils nous ont auscultés, nous ont donné des habits, on a pu prendre des douches et on a eu des cartes pour appeler chez nous.
L'accueil était relativement agréable.


J'ai passé 10 jours dans un centre à Lampadusa où nous avons été logés et nourris. Ensuite nous avons été transférés dans un autre centre à Bari.
Au bout de 10 jours je me suis échappé, pour aller à Rome.

En fait, ils nous avaient dit qu'ils négociaient avec l'Europe et la Tunisie pour une éventuelle régularisation ou des papiers temporaires. Le temps passant, je suis parti parce que j'étais venu là pour trouver un travail et vivre en liberté.


Une fois arrivé à Rome en train, j'ai pris un autre train pour aller à Nice, puis Paris.
Je suis donc arrivé sur Paris le 9 février 2011 à gare de Lyon. J'étais avec deux autres tunisiens et nous avons décidés d'aller à Belleville parce que nous y avions des contacts par téléphone.


Arrivé à Belleville, j'ai retrouvé des compagnons de voyage qui m'ont raconté qu'ils dormaient dans un parc, celui de Menilmontant. Dans la journée, on essayait de trouver du boulot à Belleville.
Jusqu'à l'histoire du gymnase au 100 rue de la fontaine au roi, je suis resté comme cela.


Donc, je me suis installé dans le gymnase. A l'intérieur, il y avait des gens qui ramenaient d'autres personnes  avec eux et cela foutait la merde. Nous avons donc demandé à la sécurité du gymnase de nous aider, mais ces derniers nous ont dit que c'était déjà bien beau de nous laisser dormir dedans.
Après, pour la nourriture, quasi jamais de petit-déjeuner, à midi avec un peu de chance on avait quelque chose, et en général le soir, on avait la Chorba pour tous qui nous donnait à manger, ou alors on avait des sandwichs apportés par des gens.


Au bout d'un moment une personne est venue nous voir et nous a dit que pour les plus cleans, il avait une solution pour nous loger. Il a donc pris 30 de nos noms, et nous a donné rendez-vous aux Buttes Chaumont. Son nom : Mohamed Ali.


Je suis arrivé un peu en retard. Sur place j'ai trouvé la police.
En me renseignant, on m'a dit que des gens étaient rentrés dans le 36 rue de Botzaris.
Ce soir, là, le 31 mai, je n'ai pas pu rejoindre les autres tunisiens de Botzaris.
Je suis donc retourné pour un dernier soir au gymnase.

C'est le lendemain que je suis rentré à Botzaris. Soit le 1er juin 2011. Vers 19h30.


A l'intérieur de Botzaris, au début nous avions trois chambres, une cuisine et un grand salon dans lequel nous dormions tous ( anciennes classes de cours d'arabe ).
Puis finalement quelqu'un a ramené une quarantaine de personnes.
On disait qu'il faisait partie du RCD ( Bentayeb ? )  il a ouvert les caves du 42 rue du Plateau.


Nous avons dû ouvrir d'autres chambres pour qu'ils puissent dormir eux aussi. Là, nous avons décidé pour avoir plus de chambres de forcer quelques portes du bâtiment principal. Cette idée venait de Mohamed de Ali.

C'est à ce moment que paraît-il, des dossiers ont été découverts.
Moi je dormais dans la pièce principale avec les miroirs.
Je n'ai rien forcé.


Ceux qui ont forcé sont venus nous réveiller pour nous dire qu'il y avait plein de dossiers avec des photos de Ben Ali, des comptes, plein de choses.
Ce soir là, j'ai continué à dormir et ce n'est que le lendemain que je suis monté en haut.
C'est là que j'ai vu que c'était le bordel avec plein de dossiers partout.
C'est là que d'autres personnes sont venus avec nous, au 36 rue Botzaris.


Nous étions une centaine dans le 36.
Le 7 juin, les flics sont venus nous sortir du bâtiment ( soit le lendemain des forcings du bâtiment principal ). Nous avons tous été en Garde-à-vue avec photos, empreintes pour quelques-uns.
Ils nous ont relâché ensuite.
Moi je suis resté 10 minutes au poste.
J'ai eu droit qu'à une photo et une prise d'identité.

Je suis retourné au 36 avec les autres tunisiens. Là, on a trouvé encore les flics sur place.
Ils ont attendu un peu, puis sont partis.
Il ne restait plus qu'un gars du RCD "Miladi" avec quatre gardiens ramenés de Barbès.
Des algériens.


Mohamed Ali a disparu.
En parlant avec les gardiens, ils nous ont dit de nous mettre d'accord avec Miladi. Les gardiens nous ont dit qu'ils étaient là pour garder la bâtiment pour de l'argent et que c'était Miladi qui les avaient payé. Miladi s'est enfui. On l'a rattrapé et on lui a fait des "câlins".

Ce soir là, le 7 juin, nous étions sept tunisiens à reprendre Botzaris.
Les gardiens algériens sont partis. 

[...]

Le 8 juin, un certain Kamel "El Haj" est venu.
Nous a dit qu'il avait parlé au consul de Tunisie, a parlé aux flics pour qu'ils s'en aillent et nous a affirmé qu'il allait s'occuper de nous.

Il nous a dit qu'il allait ouvrir le bâtiment, mettre des caméras, et en faire un foyer pour les tunisiens.

Après cela, il nous rendait visite tous les deux jours.
Comme il voyait qu'il y avait beaucoup de monde à venir nous voir, il a dit qu'on allait mettre des cadenas pour nous protéger.
Le nombre de personnes sur place commençait à devenir énorme, jusqu'à 150 tunisiens.

Entre-temps, "El Haj" a ramené 6 avocats. Il a dit que c'était le front du 14 janvier et qu'ils étaient là pour emmener et protéger les dossiers. On leur a demandé des papiers officiels pour nous prouver qu'ils étaient bien du consulat, ils n'ont pas pu nous les fournir.

Quant on leur a refusé l'accès aux dossiers, "El Haj" a reprit le réchaud et le gaz d'appoint qu'il nous avait prêté et il est reparti.
Suite à ça, de nombreuses personnes sont venues pour prendre les dossiers.
Quant on a vu que plusieurs personnes venaient pour les dossiers on a rappelé "Haj" pour qu'il les récupère.

Il est venu les récupérer depuis l'après-midi jusqu'à minuit avec un camion.
Entre-temps il est intervenu pour qu'on donne une arme trouvée au gardien du RCD ( un gardien du bâtiment déjà habitant sur place).

[...]

Le lendemain, le 16 juin, la police est intervenue pour nous sortir tous de Botzaris. Encore garde-à-vue, certains sont restés 12 heures, d'autres 32 heures, et d'autres un mois de prison. Donc, certains sont encore en prison ( centre de rétention en ce moment même ).
On ne les a pas revu depuis.

Après, on a intégré les Buttes Chaumont.


Et puis, vous connaissez la suite ...


Ecrit par @MsTeshi
Traduction de @MaverickLBJ
Paroles de Maher

lundi 27 juin 2011

1er article : Abdessalem témoigne

A 25 ans, j'habite à Sfax, cité El Habib. 

C'est une famille réduite, mon père, ma mère, ma petite sœur et moi. 
Mes deux parents sont retraités. Ma petite sœur passe le bac cette année. Nous sommes des gens modestes et vivons de pas grand chose.

J'ai eu mon bac en 2008. J'ai commencé une année pour faire ma première année de gestion d'entreprise. Mais j'ai arrêté ensuite, car je savais que même avec ce diplôme, je ne trouverais pas d'emploi. Mes parents n'étaient pas d'accord pour que j'arrête mes études...

J'avais déjà tenté de quitter le pays en 2006. Cette tentative a échouée car j'ai été arrêté en pleine mer. Pendant quinze jours, puis j'ai été relâché.

Donc, pour vous expliquer comment s'est déroulée ma première tentative, on a abordé le sujet assis dans un café avec des connaissances à moi. L'une d'entre-elles m'a proposée un plan. Deux jours après, cette même personne me recontacte et me propose de rejoindre les autres dans une maison que nuls n'était sensé connaître.
Maintenant, pour vous raconter mon histoire personnelle: je n'ai fais part de ma décision qu'à mon père, ma mère étant atteinte de diabète. Je suis parti sans dire au revoir et me suis retrouvé dans une maison éloignée du reste du monde. 
J'étais avec 36 autres tunisiens dans la même situation que moi pendant trois jours. Et le quatrième soir on a pris le large la nuit.
Dans la maison, j'ai donné 800 dinars ( soit 400 euros ) puis plus tard, sur l'embarcation, 500 dinars ( soit 250 euros ).  

Quand j'étais dans cette maison, j'avais très peur.
En effet, je quittais ma famille et mon pays. S'ajoute à cela les craintes concernant ce voyage.
Plus encore, avec les jeunes de cette maison on n'arrêtait pas de nous raconter les autres expériences de ce voyage, et des destins tragiques de quelque-uns qui ont tenté celui-ci.

On est partis des côtes de Sfax et après cinq heures de navigation, après avoir passés les côtes de l'île de Kerkena, nous avons été arrêté

[ Puuuuuuuuuuuuutain ( en français dans le texte ) ].
[Pause pour "rigoler " : si on lui file une voiture maintenant, pas de soucis, il repart chez lui :) ]

Pendant ces quinze jours, j'ai eu une amende de 120 dinars ( soit 60 euros ).

[...]

Je suis retourné chez mes parents, et j'ai été convoqué pour passer mon service militaire. Dans mon pays, il est possible de ne pas passer une année de service militaire contre 825 dinars ( soit environ 410 euros ) et de baisser la durée à 23 jours. C'est ce que j'ai fais.

Mon service fini le 31 décembre 2007.

Une semaine après ma tante qui habite en Libye m'appelle pour me proposer de venir travailler dans son agence.Cette agence sert d'intermédiaire entre les étudiants libyens et l'Ambassade australienne se trouvant en Egypte.

J'ai passé quatre mois en Libye, c'était un travail administratif.
Ma vie en Libye ne me plaisait pas. Les sujets de discussions et les perspectives d'avenir ne menaient à rien.

J'ai repensé à passer de nouveau les frontières et tenter de pénétrer en Europe. Mais les conditions n'étaient pas favorables. Donc je suis retourné en Tunisie. Nous sommes en 2008.

Là, je décide de passer mon bac en candidat libre. Et puis je me suis inscrit à la Faculté de Sfax.

[...]

[ A suivre ... ]

Ecrit par @MsTeshi
Traduit par @Doxaa
Paroles de Abdessalem